Les plantations d’arbres en alignement qui accompagnent les chemins, les routes et les canaux, constituent un « motif paysager » classique, les « allées ». C’est une invention des paysagistes, dès le XV° siècle, qui l’utilisaient dans les parcs et propriétés de prestige. L’idée est de reproduire, avec des arbres, les motifs architecturaux de la colonnade et de la voûte, de façon à magnifier les perspectives, accompagner les courbes, structurer les vues. Cette invention simple et géniale s’est ensuite peu à peu répandue partout, pour finir au XIX° tout le long de nombreuses routes et des avenues dans les villes, saisies alors par un besoin vital d’embellissement. Et on a bien entendu pris soin de respecter les règles de base : une seule essence régulièrement plantée. C’est devenu une figure récurrente à forte valeur culturelle et historique.
En plus de ses qualités esthétiques, l’alignement d’arbres de hautes tiges apporte de nombreux bienfaits : ombrage, guidage dans les courbes, marquage des carrefours, continuités vertes pour les oiseaux….En ville, les grands arbres captent la pollution, fixent le CO2, produisent de l’oxygène et de la fraîcheur en été par évapotranspiration.
L’aspect esthétique est cependant primordial. Il est garanti par le respect des principes établis dès l’invention du motif paysager : espacement régulier et unicité des essences. Certains alignements urbains présentent par endroits des arbres différents (replantation d’une autre variété pour boucher un trou par ex) : l’intrus se voit comme le nez au milieu de la figure ! Certaines personnes pensent qu’un alignement c’est monotone et ennuyeux et veulent donc introduire de la diversité. Mais c’est une fausse bonne idée : la diversité existe déjà dans un alignement d’une même essence. En effet, bien qu’appartenant à une même espèce, chaque individu est différent au sein du groupe. Les arbres sont des êtres vivants et chacun est unique dans le détail. Certes les différences sont minimes, mais elles introduisent une sorte de vibration dans le motif qui en est enrichi, aussi bien au niveau de la colonnade que de la voûte. Il y a aussi un problème de dimensions : plus les arbres sont hauts, avec des houppiers presque jointifs, plus l’effet paysager est important, ce qu’on appelle l’effet « cathédrale ». Et l’effet s’amplifie avec le temps : l’âge les magnifie. Et plus ils sont grands et vieux, plus importants sont les bienfaits qu’ils apportent, en particulier en ville : ombre et fraîcheur, captation de CO2, biodiversité…..Il faut donc replanter des essences à grand développement et qui durent longtemps.
Avec les problèmes sanitaires qui touchent de plus en plus les arbres, certains spécialistes ont émis l’idée qu’un alignement serait plus robuste et durable si les essences replantées présentaient une certaine diversité. Cette idée est déjà en soi discutable : les essences les plus sensibles viendraient immanquablement à disparaitre plus vite que d’autres, laissant de nombreux trous dans l’alignement, avec une dégradation évidente du motif de la colonnade. Mais dès la plantation le nouvel alignement ne correspondrait pas aux canons esthétiques et on aurait reconstitué un motif bâtard qui n’aura plus aucun intérêt esthétique ni culturel. Il est, par contre, évident que, pour la forêt, le panachage des essences est une bonne idée : les forêts ont besoin de diversité pour mieux croître et durer dans le temps. Mais un alignement ne sera jamais une forêt !
La résistance des alignements doit être recherchée ailleurs que dans le panachage : sélection soigneuse des essences et des variétés, techniques spécifiques de plantation et de préparation des sols qui doivent rester perméables dans la durée, alimentation en eau des racines. Et surtout soins arboricoles non traumatisants : tailles de formation soignées, pas de tailles drastiques, élagages raisonnés.
Louis Dubreuil